Si l’hiver à Tlemcen m’était conté

 

 Le Quotidien d'Oran 

Mercredi 17 février 2010

Par Allal Bekkaï

 

Toute une mythologie est tissée autour de la neige à Tlemcen qui, d’ailleurs,

tire son nom de «thala m’sen» qui signifie en berbère «fontaine à deux sources».

La légende de l’eau à Tlemcen racontée par Foudil Benabadji,écrivain, vice-président

des «Amis de Tlemcen»,illustre bien cette étymologie hydrique.

Un malheur s’abat sur le pays (bled) : El Ourit, El Mefrouch, Mouillah Boukiou, saquiet el

nosrani, sahridj bedda…sont à sec.

«Il faut que l’eau revienne à Tlemcen.J’irai la chercher».

 

C’est le défi que se lança le Prince qui vainquit «El Ghoul»,l’ogre malfaisant. L’eau se mit

à jaillir des fontaines, telles des perles de cristal… Les sources ressuscitèrent

telles Aïn el Ouzir, Aïn bent Soltane, Aïn Keubba, Aïn Tolba, Aïn el Hout, Aïn el Hdjel,

Aïn el Modj-arra (El Mouhadjir), Aïn Djnan, Aïn Sidi Ahmed, Aïn Attar… Les chants

«haoufi» résonnaient à nouveau dans la ville. Et c’est depuis ce temps-là que

notre bonne ville avait pris le nom de «Tilimcène» qui signifie «sources» en

berbère, dira le conteur…

Loin de la légende, les Tlemceniens avaient coutume,lorsque le manque de pluie

compromettait la récolte ou les pâturages au printemps, d’organiser des

rogations pour demander la pluie («tol el latif») ; ils faisaient surtout des visites

aux principaux saints protecteurs de la ville, à savoir Sidi Daoudi, Sidi

Boumediene, Sidi Abdelkader, Lalla Setti, Sidi Boudjemaâ… et leurs

adressaient des invocations.

Parallèlement,ils accomplissaient à cet effet au niveau des «mçalla» à Mansoura,

Ouzidane, «çalat el istisqa’» (prière surérogatoire collective en plein air pour invoquer la pluie).

Pendant ce temps, les enfants ne restaient pas inactifs. Ils parcouraient les rues en

promenant une poupée de chiffon ou un épouvantail (deux roseaux croisées

recouverts d’une vieille robe usagée) nommée «Ghanja» et chantaient

: «Ghanja, Ghanja, natalbouk r’ja, ya rabbi aâtina ch’ta…» (Ghanja, Ghanja,

comble l’espérance ! O mon Dieu, donnez-nous la pluie ! Et vous, grelots,

carillonnez pour que vive la pauvresse sans mari). Ils allaient frapper

aux portes des maisons pour qu’on les arrose d’eau en guise de bon présage.

Celle qui a le teint blanc est la signification de «Ghanja» qui serait la

berbérisation du mot Ganus ou encore Janus, soit une étymologie païenne...

Par glissement sémantique «arabisé», ghanja signifiait chanson,

voire poésie chantée, en référence à la racine arabe «ghnâ» (chant)...

On chantait aussi «Ya ch’ta sabi sabi, m’a t’sabich aliya, hata dji hamou khouya,

ghatini ba’ zarbiya»… (ô pluie, tombe, tombe mais ne me trempe pas,

jusqu’à ce que vienne mon frère Hamou pour me couvrir avec un tapis).

On célébrait «sous» l’arc-en-ciel «O’urs dib» (le mariage du renard)

quand survenait une concomitance de pluie et de soleil avec :

«chrika djat Allah, Allah, f’dila djat, Allah, Allah !»

(la concubine arrive, la favorite arrive), allusion au couple pluie/soleil.

Lorsqu’il faisait mauvais temps et pour conjurer le mauvais sort météorologique,

les vieilles femmes, tout en cardant ou «égrenant » la «m’qatfa», récitaient pour

la circonstance une complainte mystique :

«Ghitna, ghitna ya latif bi khal’qihi, ida nazala el qada’ yaatba’ou loutfou»

(ô mon Dieu, apporte Ton secours, Toi qui es Tempérant envers Tes créatures,

atténue la fatalité avec Ta tempérance).

Autrefois, lorsque le cycle des saisons était régulier et le climat indemne de tout

effet de serre, on vivait l’hiver, en l’occurrence,avec sa météo intrinsèque

et ses rites culturels.

Ennayer et son tbaq gorgé de «qaqcha» (plateau de fruits secs) est une

des manifestations alimentaires liées aux us et coutumes locales.

Abstraction faite du caractère agraire de cette fête, la consommation des arachides

(noix,noisettes) s’expliquerait par une imitation «anthropologique» (du régime)

de l’écureuil qui fait ainsi le plein de calories pour affronter les hivers rigoureux.

A propos d’agriculture, un vieil adage dit :

«Teldj ennayer yadmane el kh’ssaïr» (La neige de janvier prévient

toute perte de récolte)…

LA CHASSE, LA TAXIDERMIE ET LA LÉGENDE

La chasse à la perdrix ou à la caille «el hadjla» était, par ailleurs, une tradition

chez les Tlemceniens qui avait la passion des animaux tant domestiques

(chats, pigeons, canaris…) que sauvages à travers la chasse (perdrix,

cailles, lièvres, sangliers…) et le goût taxidermiste (faucon ou aigle empaillé

en guise de bibelot. Un empailleur d’origine bulgare, du nom de Doumandji,

exerçait ce métier artisanal animalier.

Une association de chasseurs baptisée «El Hadjla» est domiciliée à Quebassa,

sous la houlette de M. Mourad Korso.

Quant à la Fédération nationale Sari, présidée par Djilali Sari (libraire),

ses activités sont gelées depuis 1992 en vertu de l’état d’urgence.

A propos de chasse, on raconte que sept frères auraient péri tour à tour dans

la forêt des Petits Perdreaux (à Lalla Setti) pour avoir violé le code «écologique»

en pareille circonstance, à savoir défier d’une part la nature hostile à travers la neige

et d’autre part sortir chasser du gibier vulnérable aux conditions météorologiques

ambiantes. Sans parler de l’état de conservation et des risques

de confusion entre espèces... Jadis,l’hiver portait le sceau de «sab’a

tloudj» : sept neiges «synchronisées» se relayaient dans la nature dans une

parfaite harmonie.

Les sept braconniers «pécheurs» reposent aujourd’hui en paix côte à côte

au lieu-dit Kef (terrain Klouche) à hauteur du mausolée de Sidi Abdelkader,

soit au niveau du cimetière de Sid Tahar (Boutiba) sur les hauteurs de la ville

en contrebas du lieu-dit Baâl, refuge troglodyte et site païen des Phéniciens…

Autrefois, la neige atteignait les «7 m», dit-on avec un tantinet d’exagération.

Le village d’El Eubbad était isolé de la ville. Nouri (Berrabah), le derwiche

se voyait privé de son parcours «mystique» entre Sidi Boumediène

et Aïn Ouazouta.

Une navette stéréotypée qui le menait jusqu’à Bab el djiad devant l’épicerie de hadj Bendra’,

au cours de laquelle il répétait «mécaniquement» : l’auto ! l’auto !

Un leitmotiv accompagné de l’onomatopée : Vroom ! vroom ! Il restait cloîtré dans

le mausolée de Sidi Abbed.

Contrairement à son alter ego,Ba’ Belarbi, un autre humble du quartier,

qui lui élisait domicile dehors sous la kerma (figuier) du Saint précité,

emmitouflé ou plutôt caché dans sa djellaba, refusant toute nourriture

malgré le froid glacial (neige), ascétisme oblige, nous racontera El Hadj

Hadjadj, un aïssaoui, ancien habitant d’El Eubbad …

On remarquera la récurrence du nombre «7» :

les sept dormants du Kef (Baâl), les sept neiges,les sept mètres de neige, la poignée

de sept escargots, la ruelle des sept arcades… (lire la suite) sans parler

de la légende des sept enceintes (siège mérinide de Tlemcen)…

Le «7»serait le chiffre indiquant, selon le dictionnaire des symboles, le sens d’un

changement, après un cycle accompli et d’un renouvellement positif…

SEBDOU ET LE MOULIN DE L’EMIR

Par ailleurs, l’histoire toponymique de Sebdou (située à 44 kilomètres au sud de Tlemcen

et 958 mètres d’altitude)est intimement liée à la neige, et plus exactement à cette fleur

blanche éponyme appelée «sebdah» ( la galanthus nivalis communément appelée

perce neige) qui parait la montagne Tafraoua enneigée (nom de la région

avant la période coloniale signifiant escarpement en berbère).

Notons au passage que la transcription coloniale du nom, à savoir «Sebdou»

est farouchement remise en cause par le chercheur Baghli Mohammed qui lui oppose

sa version originale, soit «Sebdah »

(en arabe le «waw’» final devrait céder sa place à la lettre «ha’») qui

effacerait une fois pour toute cette déformation phonétique et littérale.

Pour rester dans le domaine de la nature,il faut savoir que cette région abritait

jusqu’en 1950 un arbre historique (brûlé depuis) connu sous le nom de

«chêne Cavaignac» sous lequel le traité de la Tafna fut signé (30 mai 1837).

La distribution des eaux de Aïn Tagga se fait encore de nos jours, suivant le système

mis en place et officialisé par un acte signé de la main de l’Emir Abdelkader

en personne dont un ancien moulin hydraulique porte le nom : «Rha’t el emir».

Quand on évoque Sebdou, on ne peut ne pas avoir une pieuse pensée pour Cheïkh Ahmed

Bou’roug, un érudit, considéré comme l’un des premiers azhariens de son

époque qui fit le testament d’être enterré «loin» de Tlemcen (1928), le Dr Benaouda,

le médecin martyr exécuté au douar Ould H’lima (1956),Cheïkh Ben Al Hachem Tilimsani,

le premier libraire de Tlemcen, un érudit en matière de soufisme, natif de Sebdah (1881)

et décédé à Damas (1961).

Sans oublier l’Agha Benabdellah de derb Sid el Yeddoun assassiné en voyage par le

capitaine Doineau (1856).

DAR SBITAR,L’AUTRE MYTHE 

Revenons à Tlemcen dans la vieille médina et suivons Mohamed Dib à «Dar Sbitar»

à Bab el hdid, voisine de la mosquée des Ouled el imam,pour prendre le thermomètre.

Période : les années 40. Saison : l’hiver.

«Aïni déposa au milieu de la pièce un brasero bourré de poussière de charbon

qui brûlait difficilement. On pensait : c’en est fini du froid ; puis l’hiver faisait un brusque

retour sur la ville et incisait l’air avec des millions d’arêtes tranchantes.

A Tlemcen, quand en février la température tombe, il neige sûrement…

Omar appliquait sur le carreau ses pieds, qui étaient de glace.

Les jambes nues jusqu’aux genoux,vêtue d’une mince tunique retroussée par-dessus

des pantalons de toile, les épaules serrées dans un fichu en haillons, Aïni grondait, prise

d’une agitation fébrile… L’enfant couvait le brasero. Il en remua le fond.

Quelques braises vivotaient dans la cendre. Il se rôtissait les mains, qui blanchissaient peu à peu,

énormes comme des fruits blets, et les appliquaient sur ses pieds.

Le dallage faisait mal à voir. Omar se recroquevilla devant le fourneau… Le brasero défaillait

dans la chambre sombre et humide. Omar ne réchauffait que ses mains ;

ses pieds le démangeaient irrésistiblement.Le froid, un froid immobile,lui griffait la peau.

Il cala son menton sur ses genoux. Accroupi en chien de fusil, il amassait de la chaleur.

Ses fesses posées sur une courte peau de mouton pelée étaient endolories.

Il finit par somnoler, serré contre lui-même… La matinée, grisâtre, s’écoulait minute après minute.

Soudain,un frémissement lui parcourut le dos : il se réveilla, les jambes engourdies

et pleine de fourmillements.Le froid pinçait intolérablement. Le fourneau avait disparu : Aïni l’avait

emporté…

A l’autre extrémité de la pièce, assise en tailleur, le brasero posé sur une de ses cuisses,

elle marmonnait toute seule :- Voilà tout ce que nous a laissé ton père : la misère

! explosa-t-elle… Aïni versa le contenu bouillant de la marmite, une soupe

de pâtes hachées et de légumes :

une «tarechta» sans pain. Omar, Aouicha et Meriem lapaient en silence,

avec une régularité mécanique, la soupe qui leur ébouillantait la bouche :

une sensation de bonne chaleur leur descendait à l’intérieur du corps.

C’était bon la soupe de l’hiver…même si le piment paprika de Cayenne leur cuisait la langue…».

LES METS DE L’HIVER

Un tour maintenant du côté de Bab Ali. Avant l’indépendance. La neige tombait.

Ne faillant pas à la tradition,Kheïra Bent el Bekkaï concoctait sa hrira el k’bira assortie

de légumes secs (fèves, haricots…). Alors que M’a Fatma Bent Benchenafi de Hart r’ma

préparait son «s’fendj ba zbib» (beignets aux raisins secs) et Ma’Tabet de la rue Benziane

sa «kabouya bsibsi be’sfisef» (citrouille aux jujubes). Et pour cause. «Teldj ra’layeq».

Une expression typiquement féminine en référence à la laine cardée.

S’exhalant de la «k’zana» (dont le mot cuisine est a priori tiré), les effluves de l’huile communiaient

avec les flocons de neige…

Ma’Chaâbana (Guellil) de derb Sid Sasli apprêtait quant à elle un bon ragoût

de «batata bel khli’» pour dar Kouider Saïb. A dar Fiddah de derb el qadi, on préparait pour la

circonstance un plat de «loubia bel ker’ine» (pattes de veau aux haricots). Mama Djebbari

de Nedroma apprêtait sa «osbana » ou sa «kefta bel khli’»…

D’autres plats «adaptés» à la saison étaient au menu, tels «berkoukes», «t’chicha»,

«ba’bbouch ba’ zaâtar» (escargots au thym), un plat très épicé.

On faisait jeûner les gastéropodes plusieurs jours, parfois on les nourrit à la farine

pendant trois jours avant d’être préparés en sauce piquante.

On prononçait pour la circonstance une formule incantatoire avant de les plonger par

poignée de sept (encore !)dans la marmite pleine d’eau bouillante

: «D’bihtak ya ghlal bel ma’ wa mleh wa zaâtar, bismilah Allah akbar !...»

(ô gastéropodes, vous allez mourir, non égorgés comme le mouton ou le coq,mais

ébouillantés par l’eau avec du sel et du tym, au Nom de Dieu, Dieu est Grand)…

A suivre 

 

Commentaires

  • zenata
    • 1. zenata Le 28/03/2015
    se allal bekai et sur les traces d’Edmond destaing le grand falsificateur de l'histoire du grand tlemcen
  • Salah landhar
    • 2. Salah landhar Le 23/01/2012
    c'est la loi sur letat d'urgence qui a suspendue la chasse en algerie, mais cette loi est maintenant elle meme annulée : qu'attend le gouvernement qe font les associations de chasse
  • BELKHODJA
    SALUT ATOUT LE MONDE MERCI POUR LA PAGE

    JE SUIS UN JEUNE HOMME DE TLEMCEN J AIME LA CHASSE JE LAA CONE CETTE ASSOCIATION DE CHASSE EL HEDJLA A KBASA A TLEMCEN
    JAIE UNE FUSILLE DE CHASSE DE MON PERE JE VEUT DEVENIR UN PERSONNE DE CETTE ASSOSCIATION MAIS JAI PAS UNE DETENTION DARME A LA WYLAYA DE TLEMCEN NOUS ME DIT QUI EST BLOQUER LA DETENTION MEME SI MA FUSILLE JE PEUT PAS AVOIR UNE DETENSION JE VEU AVOIR UNE SOLMLUTION PRSQ JAIS UNE M%ALADIE DE CHASSE COMME TOUT LES CHASSEUR JAIME BIEN ALLER A LA NATURE POUR FAIT CE EXERCICE

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